La science et l’art, la technique et la créativité, les outils numériques sont présents dans notre quotidien pour nous aider à communiquer, à partager et à créer. Les images RVB d’un écran d’ordinateur, les images CMJN contenues dans un livre, des pigments naturels aux codages binaires des couleurs. L’idée est de démystifier la technologie et ses complexités en utilisant l’histoire, l’art, la lumière, l’image et la couleur pour stimuler la compréhension des outils numériques tout en précisant les limites de quelques modèles scientifiques. La physique théorique elle même a des difficultés pour expliquer la manifestation colorée de la matière et son interaction avec la lumière.
Eléments historiques
En Grèce antique, c’est Aristote qui domine la pensée à partir du IVe siècle avant notre ère. Pour lui, la couleur est un affaiblissement de la lumière comme on peut le remarquer par le changement de teinte du soleil ou de l’atmosphère au crépuscule. Les couleurs résultent des modifications de la lumière pure et blanche suite à des réflexions, des changements de distance ou des défaillances de la vue. Le mélange de la lumière et de l’obscurité produits les couleurs.
En prolongeant les analyses d’Aristote, l’esthétique des couleurs au Moyen-âge est basée sur l’idée que la couleur n’est rien sans la lumière (les vitraux).
Plusieurs textes médiévaux expliquent qu’un mélange en quantité égale de blanc et de noir donne du rouge. Le jaune se situe entre le blanc et le rouge et le vert est voisin du rouge.
Les couleurs sont classés suivant leur degré de clarté (Léonard de Vinci). Étymologiquement, le jaune est issu du verbe « briller ». Les termes écarlate, cramoisi et pourpre désignent aussi bien du rouge que du violet. Dans les miniatures et les œuvres médiévales, la couleur garde une valeur symbolique et technique mais pas nécessairement réaliste. La couleur aide à distinguer les axes, les plans, à distinguer les personnages, à opposer ce qui est dynamique de statique, négatif et positif…
C’est en 1672 qu’Isaac Newton établie une relation entre la lumière et la couleur en précisant que les couleurs préexistent au sein de la lumière blanche qui se décompose (phénomène de l’arc en ciel).
Pour Goethe, en 1810, la couleur naît de la rencontre entre la lumière et l’obscurité (sur l’idée d’Aristote et de Léonard de Vinci). Le jaune est « tout proche de la lumière » et le bleu est « tout proche de l’obscurité ». Les autres couleurs s’ordonnent entre ces deux pôles opposés. Ainsi chaque couleur appelle sa complémentaire (diamétralement opposé sur le disque chromatique). Goethe insiste également sur l’aspect psychologique, symbolique et mystique des couleurs. Ainsi le jaune est associé à des concepts comme le savoir, la clarté, la chaleur, la proximité, l’élan… Le jaune procure « une impression chaude et agréable ».
Analogies entre les sons et les couleurs
Les couleurs émergent de la lumière et les sons de la matière. Actuellement, la recherche fondamentale en physique s’efforce de comprendre l’interaction rayonnement-matière dans la continuité théorique que la formule d’Einstein (E = m.c²) exprime comme correspondance entre la matière et l’énergie.
Echo-radar : Les ultrasons (ondes sonores avec f > 20 kHz) permettent d’observer les fonds marins, la genèse d’un fœtus, …, et toutes vibrations mesurées en oscillations dans la matière. L’équation est bien connue, il s’agit d’une sinusoïde (oscillation mathématique dont les paramètres peuvent correspondre aux vibrations dans la matière) une sinusoïde donc qui est couplée avec une exponentielle décroissante (amortissement des vibrations dans la matière)
Le son, la matière et la lumière
- Le son dans la matière : il se propage avec une certaine vitesse qui augmente lorsque la densité du milieu augmente. Sans support matériel, pas de propagation d’onde sonore.
- La lumière dans la matière : elle se propage dans les milieux matériels transparents avec une réduction de sa vitesse de propagation comme le son dans la matière. A la différence des ondes sonores, les ondes électromagnétiques (la lumière) peuvent se propager dans le vide c’est à dire sans support matériel.
- La couleur dans la matière : elle reflète une certaine vibration (longueur d’onde) de la lumière dans la matière. Du rouge (grandes longueurs d’onde) au bleu (courtes longueurs d’onde), les vibrations lumineuses expriment dans la matière (les solides, les liquides et les gaz) des vibrations colorées qui permettent de différentier le champ visuel du genre humain.
- Le son et la couleur : De nombreux modèles existent pour associer les couleurs du spectre visible (7 teintes) aux 7 notes (occidentales) de la musique.
De la chimie à l’art
Entre 1807 et 1813 les écrits de Michel-Eugène Chevreul se rapportent aux matières colorantes végétales. Il isole plusieurs principes tinctoriaux dont l’indigotine (bleu), un colorant rouge (bois de Campêche), un noir de qualité (hématoxyline) par combinaison avec des sels de chrome pour favoriser la fixation de la teinte sur une fibre textile.
En 1824, Louis XVIII nomme Chevreul directeur des teintureries de la Manufacture royale des Gobelins. Il constate que la « qualité teintures colorées » dépend :
- De la stabilité chimique des pigments colorés à la lumière
- Du choix des contrastes de couleurs choisis
La loi des contrastes simultanés
Chevreul développe ainsi (1839) la Loi dite des Contrastes Simultanés. Ce qui importe là, c’est donc la façon dont l’œil perçoit les couleurs et donc la nécessité d’explorer les effets de juxtaposition des couleurs sur la rétine.
Ainsi l’œil produit la couleur manquante, complémentaire pour produire un équilibre neutre dans le cerveau. Une couleur donnant à toute couleur avoisinante une nuance complémentaire dans le ton. Dans l’idée d’une harmonie des contrastes, Chevreul déduit qu’un effet agréable à l’œil produit par l’association des couleurs résulte du rapprochement des couleurs complémentaires. Par exemple :
Cette loi des contrastes de Chevreul permet de maîtriser la violence ou au contraire la douceur des coloris puisqu’on obtient des contrastes forts en mariant des couleurs complémentaires (vert et rouge ; jaune et violet ; bleu et orange) et contrastes ternies (dissonance optique) en associant des couleurs non complémentaires. C’est ainsi que les coloristes vont pouvoir « faire vibrer la lumière » à partir de cette loi. Van Gogh et les impressionnistes vont donc utiliser le catalogue complet des teintes anciennes édité par Chevreul en 1855 pour trouver les couleurs qui s’accordent harmonieusement entre elles.
La couleur, l’art et la science
- Eugène Delacroix (1798-1863) : dans La mer vue depuis les hauteurs de Dieppe, il utilise les contrastes entre les couleurs complémentaires
- Claude Monet (1840-1926) : il exploite l’harmonie et les contrastes à la perfection.
- Waterloo bridge – contraste entre l’orange doré et le bleu indigo
- Champ de coquelicots près de Vertheuil – contraste entre complémentaires vert et rouge et aussi bleu et orange
- Champ de tulipe en Hollande – multiples contrastes entre couleurs complémentaires
- Globalement, il prend soin de colorer les ombres comme le préconise Chevreul
- Auguste Renoir (1841-1919) : il utilise également l’harmonie entre les couleurs complémentaires.
- La lecture – le rouge de la robe avec le fond vert du paysage en arrière plan
- Sur la terrasse ou Terrasse à Cagnes – quatre couleurs complémentaires sont employées
- Robert Delaunay (1885-1941) : il est soucieux également de rendre visible l’énergie vibratoire de la lumière après avoir réduit sa palette jusqu’au monochrome, il réintroduit les couleurs. Avec sa femme, il créera le simultanéisme : Prismes électriques, L’équipe de Cardiff, lasérie des Fenêtres, des Rythmes, des Formes circulaires et des Disques sont œuvres qui illustrent les cercles chromatiques de Chevreul.
- Chevreul établit aussi une loi dite du mélange des couleurs selon laquelle l’œil opère un mélange optique à partir de petites taches de couleurs différentes qu’il fusionne en une nouvelle couleur. Les néo-impressionnistes, les pointillistes et les divisionnistes exploitent le mélange optique dans la rétine du spectateur.
- George Seurat (1859-1891) prône la symbiose entre création artistique et analyse scientifique. Une baignade à Asnières, Un dimanche après midi à l’île de la grande Jatte (ci-dessous), la parade du cirque, des poseuses et le cirque. Dans l’approche des divisionnistes, la perspective traditionnelle est remise en cause et la surface du tableau diffère d’une « vision naturelle », les formes sont simplifiées et elles prennent des allures géométriques. Renoir désavoue cette approche « d’une peinture mise en formules ».
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